Détecter les conflits culturels silencieux en supervision
- DOCTEUR Sébastien BOSCH
- 25 mai
- 3 min de lecture

Dans une relation de supervision, le silence n’est jamais neutre. Lorsqu’un supervisé acquiesce sans vraiment s’impliquer, évite les questions ou applique mécaniquement les consignes sans conviction, il se peut qu’un conflit culturel implicite soit à l’œuvre.
Ces tensions ne sont pas toujours visibles. Elles n’apparaissent pas comme des objections frontales, mais plutôt sous forme de signaux faibles : une forme de retrait, une gêne à recevoir du feedback, une exécution partielle des recommandations.
La supervision est un espace d’apprentissage, mais aussi d’acculturation. Elle confronte parfois les normes professionnelles du superviseur (souvent issues d’un cadre nord-américain ou européen) aux valeurs implicites du supervisé, liées à son histoire, son origine sociale, son rapport à l’autorité ou à l’apprentissage.
Détecter ces signaux faibles est un acte éthique et clinique. Cela permet d’ouvrir un espace de parole sécurisant, de préserver la qualité de la relation, et de construire des compétences réellement transférables.
Cette fiche propose une série d’indicateurs concrets, issus de la littérature et de l’expérience clinique, pour aider les superviseurs à reconnaître, comprendre et désamorcer ces conflits culturels latents.
1. Résistance passive ou retrait du supervisé
Réduction progressive de la participation (moins d’initiatives, de questions, de retours).
Réponses monosyllabiques ou très formelles.
Retards récurrents, annulations ou désengagement sans raison claire.
Hypothèse : la personne ne se sent pas libre d’exprimer un désaccord culturel, ou perçoit la supervision comme non alignée avec ses valeurs implicites.
2. Acceptation apparente mais faible mise en œuvre des consignes
Le supervisé acquiesce systématiquement, mais ne modifie pas ses pratiques sur le terrain.
Retour d’observation très en décalage avec les échanges théoriques.
Hypothèse : la consigne donnée est en conflit avec des normes culturelles (ex. sur la façon de corriger un enfant, de toucher une personne, de hiérarchiser l’autorité).
3. Malaise dans le feedback
Le supervisé semble gêné, évite le regard, ou s’excuse excessivement après un feedback négatif.
Il peut aussi le contester indirectement par des justifications non pertinentes (« je ne voulais pas mal faire », « c’est comme ça dans ma famille »).
Hypothèse : les normes culturelles liées à l'autorité, à l’humilité, ou au statut hiérarchique sont bousculées.
4. Difficulté à poser des questions ou à dire « je ne sais pas »
Le supervisé n’ose pas demander des clarifications ou craint d’être jugé.
Il donne des réponses approximatives plutôt que d’admettre un doute.
Hypothèse : dans certaines cultures, montrer de l’incertitude face à un supérieur est perçu comme une faiblesse.
5. Écarts entre les priorités perçues par le superviseur et celles du supervisé
Le superviseur insiste sur des aspects « techniques » (graphiques, programmation), alors que le supervisé s’inquiète de la relation famille-enfant.
Le superviseur valorise l’autonomie, le supervisé valorise l’obéissance ou la loyauté.
Hypothèse : priorisation des valeurs divergente (individuel vs collectif, autonomie vs conformité).
6. Usage de termes ambigus ou « codés »
Références implicites à des normes culturelles sans les expliciter (« chez nous on fait autrement »).
Utilisation de métaphores, proverbes, ou anecdotes culturelles non comprises par le superviseur.
Hypothèse : le supervisé tente de verbaliser un conflit mais ne trouve pas l’espace ou le vocabulaire pour le nommer directement.
7. Disparité dans les renforçateurs sociaux
Ce que le superviseur perçoit comme encourageant (feedback direct, reconnaissance verbale) est reçu comme intrusif, paternaliste ou même offensant.
À l’inverse, l’absence de reconnaissance verbale est vécue comme de l’indifférence ou du mépris.
Pour aller plus loin :
Fong, E. H., Catagnus, R. M., Brodhead, M. T., Quigley, S. P., & Field, S. (2016).Developing the Cultural Awareness Skills of Behavior Analysts.Behavior Analysis in Practice, 9(1), 84–94.https://doi.org/10.1007/s40617-016-0111-6
➤ Article de référence sur les compétences culturelles en ABA : auto-analyse, adaptation, outils concrets.
Beaulieu, L., Addington, J., & Almeida, D. (2019).Behavior Analysts’ Training and Practices Regarding Cultural Diversity: The Need for Education and Research.Behavior Analysis in Practice, 12(3), 557–567.https://doi.org/10.1007/s40617-018-00289-0
➤ Montre le décalage entre les besoins en pratique et la formation actuelle des BCBAs sur les questions culturelles.
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